lundi, 10 novembre 2014
Pierre le Vigan sur l'effacement du politique
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dimanche, 09 novembre 2014
Propos sur la littérature, la connaissance de soi et des autres
Propos sur la littérature, la connaissance de soi et des autres
par Pierre LE VIGAN
Laurence Sterne, l’auteur de Tristram Shandy (1767) explique que pour « les habitants de cette terre, les âmes ne brillent pas à travers le corps, mais sont entourées d’une épaisse couverture de sang et de chair opaque. » C’est aussi le sens de la remarque que le fabuliste Momus faisait à Vulcain dans la mythologie grecque : dans l’homme conçu comme une statue d’argile, on ne voit pas le cœur humain. C’est sans doute pour cela qu’a été inventée la littérature : pour mieux comprendre les autres et le monde des autres. Lévinas appelle cela « être gardien de son frère ». Être humain, c’est savoir se mettre à la place de l’autre. La littérature participe ainsi d’un processus de nettoyage : se désidentifier un temps, s’oublier un temps pour se mettre à la place de l’autre. Baudelaire écrit ainsi : « - hypocrite lecteur, – mon semblable, – mon frère (Les fleurs du mal, 1857). » Victor Hugo a des mots d’une totale justesse sur cette question : « Une destinée est écrite là jour à jour. Ce donc la vie d’un homme ? Oui, et la vie des autres hommes aussi. Nul de nous n’a l’honneur d’avoir une vie qui soit à lui. Ma vie est la vôtre, votre vie est la mienne, vous vivez ce que je vis; la destinée est une. Prenez donc ce miroir, et regardez-vous-y. On se plaint quelquefois des écrivains qui disent moi. Parlez-nous de nous, leur crie-t-on. Hélas ! quand je vous parle de moi, je vous parle de vous. Comment ne le sentez-vous pas ? Ah ! insensé, qui crois que je ne suis pas toi ! (Les contemplations, 1856) »
Paul Ricoeur remarque : « L’appropriation des propositions de monde offertes par le texte passe par la désappropriation de soi (Soi-même comme un autre, Seuil, 1990). » Tout lecteur fait cela, il s’oublie pour se mettre à la place de l’autre. Parce que l’autre est bien souvent une autre possibilité de lui-même. C’est pourquoi ne pas pouvoir lire de romans aboutit exactement à devenir fou, et seul au monde, et fou car seul au monde. Ne pas pouvoir lire de roman, c’est ne pas pouvoir envisager autrui mais qu’est-ce qu’autrui dans ce cas ? C’est une figure du changement de soi. Ne pas pouvoir lire de roman, c’est donc ne pas pouvoir envisager que l’on puisse changer. Les romans – et les pièces de théâtres – donnent ainsi figure au monde de l’autre. Albert Camus avait bien vu cela : « Si tu veux être philosophe, écris des romans. » (Carnets I). « Un roman n’est jamais qu’une philosophie mise en image » affirme-t-il encore (Carnets II). Lire des romans ou a fortiori en écrire c’est croire que « rien de ce qui est humain ne m’est étranger » selon la formule du poète latin Terence. Même si l’autre est un barbare, quel barbare est l’autre ? C’est la question que pose Montaigne dans « Des cannibales (Essais I, 31) ». En d’autres termes le contraire de la discrimination ce n’est pas la tolérance c’est la curiosité.
Barbare/non barbare : c’est tout simplement dire que nous avons une peau, un envers et un endroit de la peau. C’est dire aussi que la peau, des hommes et des peuples, se transforme (metabolé). Comme le dit François Hartog, l’altérité « se redistribue (Anciens, Modernes, Sauvages, Éditions Galaade, 2005) ». L’autre ce n’est pas seulement l’étranger, c’est celui dont les catégories mentales sont différentes : l’empereur oriental, le Perse, l’Asiate et sa démesure (hubris). Choc de la rencontre. « Notre monde vient d’en trouver un autre » écrit Montaigne dans « Des Coches (Essais, III, 6) ».
Mais l’autre est parfois en soi, le barbare est parfois « à l’intérieur ». L’autre « c’est surtout tout ce qui est voilé en soi-même » (Mathilde Bernard). Diogène le cynique avait cette requête : il appelait à « ensauvager la vie. Cela voulait dire faire l’expérience d’une sagesse sans la culture et sans la raison. Faire l’expérience d’une sagesse barbare. C’est là introduire le doute sur soi et en soi. C’est prendre le risque de la négation de soi ou de l’envie de mélanger tel le conquérant Alexandre loué en cela par Plutarque (Vie des hommes illustres). Se mélanger pour se dépasser. À l’écart de ce dionysisme nous voyons Ératosthène, géographe et mathématicien; il ne glorifie pas la distinction barbare/non barbare, il ne médit pas non plus son peuple. Pour lui seule compte la vertu, qui est répandue partout, chez les Grecs comme chez les Barbares, tout comme la médiocrité peut concerner des Grecs et des barbares.
L’identité est protéiforme, il y a toujours de l’autre en nous. « Nous ne sommes jamais chez nous, nous sommes toujours au-delà ». indique Montaigne (Essais, I, 3). « Nos affections s’emportent au-delà de nous » note-t-il encore. Dans cette perspective, l’autre proche est souvent le plus inquiétant. C’est parce qu’il est le plus proche de soi. Ce sont les « sorcières de voisinage » dont parle Montaigne. Proximité de soi au point d’en devenir soi. Cela peut finir comme les époux Potard, qui préparaient une poêlée d’intestins de leur fille (Jean de Léry au siège de Sancerre). Mais l’autre ce peut être aussi la rencontre d’un autre soi, à la fois différent et ressemblant, un soi élargissant son soi originel. C’est Marcel Griaule, découvrant Ogotemmêli et le système de monde Dogon, aussi riche que celui d’Hésiode (Dieu d’eau, entretien avec Ogotemmêli, 1948, Fayard 1975), c’est Michel Leiris, homme du grand voyage (L’Afrique fantôme) et de la mise en boucle de soi (L’Âge d’homme, La Règle du jeu), c’est Régis Bastide, c’est Claude Lévi-Strauss découvrant que l’autre est aussi humain que moi, un autre soi mais différent de moi.
Claude Lévi-Strauss remarque que bien souvent les peuples sauvages agissent comme si l’enfer, c’était eux-mêmes – au rebours de la fameuse formule de Sartre, « l’enfer c’est les autres (Huis clos) ». « On nous a habitués dès l’enfance à craindre l’impureté du dehors, écrit Claude Lévi-Strauss dans Mythologiques III. Quand ils proclament, au contraire, que “ l’enfer, c’est nous-mêmes ”, les peuples sauvages donnent une leçon de modestie qu’on voudrait croire que nous sommes encore capables d’entendre. » Leçon de modestie des « sauvages » : au-dessus de nous, il y a la vie, et au-dessus de la vie, il y a le monde. Michel Leiris écrit à propos du pays Dogon : « Formidable religiosité. Le sacré nage dans tous les coins. » Il y a d’autant plus de sacré qu’il y a de l’autre. Asie, sage et grave, Afrique, fantôme et mutante. Que cherche l’écrivain voyageur ? « Élargissement et oubli de soi dans la communauté d’action » disait Michel Leiris. Programme parfaitement cohérent : se connaître ne se mettant à l’épreuve de l’autre, en « respirant l’homme » comme disait Georges Dumézil, ce qui est rappeler qu’il y a deux façons de le respirer, dans la dimension historique et dans la dimension géographique.
Montrer l’homme plutôt que le démontrer voilà l’objet de la littérature. Car en démontrant l’homme la science finit par le démonter et ainsi par oublier de le montrer. À quoi sert la littérature ? À faire apparaître l’homme. La science veut savoir. La littérature n’est pas obscurantiste mais elle ne veut pas tout savoir à tous prix, elle ne veut pas conclure. Elle est complexe comme la vie, contradictoire comme la vie, comme les Japonais peuvent être shintoïste à la naissance et bouddhiste face à la mort, comme bien des Celtes peuvent être à la fois païen et chrétien. Toute littérature est par définition un « éloge de l’ombre » (Junichiro Tanizaki), l’ombre qui manifeste que les choses sont doubles qu’elles incluent l’autre d’elle-même.
Mais comment connaître l’autre ? L’amitié est-elle un moyen de le mieux connaître ? À quel autre l’amitié donne-t-elle accès ? « Un Dieu conduit toujours le semblable vers son semblable (Odyssée, XVII, 218). » Mais dans le même temps Hésiode remarque dans Les travaux et les jours que l’on n’est pas attiré vers le semblable et c’est la thème de la rivalité mimétique qui nous oppose souvent aux plus ressemblants par rapport à nous. Marcel Proust, de son côté, ne croit guère à la connaissance de l’autre par l’amitié : « Les liens entre un être et nous n’existent que dans notre pensée […]. L’homme est l’être qui ne peut sortir de soi, qui ne connaît les autres qu’en soi, et, en disant le contraire, ment. (Albertine disparue, 1925). » (Il faut ici ouvrir une scolie. À la limite, Proust nie la connaissance possible d’autrui. L’autre existe-t-il ? semble s’interroger Proust, pas loin de répondre non. Cela évoque le sophisme de Jean-François Gautier dans L’univers existe-t-il ? À cela il faut répondre que l’univers existe – de même que autrui existe – parce que c’est une hypothèse absolument indispensable au développement de la connaissance du réel. L’univers existe quand bien même cet univers serait-il un plurivers, quand bien même serait-il plein de vide, car le vide existe. L’univers existe au même titre que – Dieu merci – Jean-François Gautier existe, et que nous existerons encore quand nous serons poussière car tout ce qui a existé existe et continuera d’exister. Il y a heureusement de la place entre la croyance que le boson de Higgs serait la « particule de Dieu » et la position de Jean-François Gautier qui est certes stimulante mais relève avant tout d’une idéologie de l’anti-métaphysique voire d’une radicalisation à l’absurde de l’interprétation de Copenhague).
À quoi il faudrait ajouter que la haine est aussi parfois une façon de connaître l’autre, ce qui n’est pas loin d’être le point de vue d’Henri Michaux (Passages, 1950, et encore Poteaux d’angle, 1978) qui souligne son aspect hygiénique et l’infortune de ceux qui ne la connaissent pas. « L’élan que l’on peut prendre à partir d’une personne est double. Pas décider prématurément si ce sera l’amour ou la haine » écrit Michaux. Les insuffisances de l’amitié – et plus encore celles de l’amour – peuvent pousser à un isolement comme désapprentissage des autres mais aussi à une tentative de dépasser l’amitié vue comme un isolement à deux. Comment ? Par le groupe en fusion. Par la « communauté inavouable » (Maurice Blanchot). Par l’esthétisation de la communauté jetée dans le feu politique. C’est la bande, ce sont les copains, les camarades, la « grande famille » du Parti. C’est justement contre le leurre de cet enchantement, qui passe en outre par la tyrannie de la majorité, que Milan Kundera réagit et réhabilite l’amitié, celle-ci qui n’est ni transparence, ni évidence (« parce que c’était lui, parce que c’était moi »…) mais est un effort et n’en existe pas moins (lire l’extraordinaire dialogue sur l’amitié dans L’identité de Kundera, Gallimard, 1998).
De même que l’amitié relève à la fois de la morale et de l’aventure humaine, la littérature nous apprend sur nous-mêmes, y compris sur notre propre aveuglement, sur ce que nous ne voulons – ou ne pouvons – pas voir, comme l’a montré Martha C. Nussbaum (La connaissance de l’amour. Essai sur la philosophie et la littérature, 1990, Cerf, 2010). Cela pose une question radicale : comment se connaître en connaissant de plus en plus le champ de ce que nous ne connaissons pas ? Stanley Cavell pose la question en ces termes : « la philosophie peut-elle devenir littérature et encore se connaître elle-même ? » (Les voix de la raison. Wittgenstein, le scepticisme, la moralité et la tragédie, Seuil, 1979).
L’autre, c’est le dehors. Arthur Rimbaud l’avait bien vu. User de différents pseudonymes – l’hétéronymie chère à Fernando Pessoa – est une façon de rencontrer l’autre en les faisant sortir de soi. Étonnant jeu de présence et d’absence à soi. « Je ne suis rien/Jamais je ne serai rien/Je ne puis vouloir être rien/Cela dit, je porte en moi tous les rêves du monde. » (Pessoa, Bureau de tabac, 15 janvier 1928). Et encore : « Il me semble que c’est moi, le créateur de tout, qui fus le moins présent. » (L’Ode triomphale, 1915). Pessoa nous dit aussi : « Loin de moi en moi j’existe/À l’écart de celui que je suis/Ombre et mouvement en lesquels je consiste. » (poème, 1920, in Cancioneiro, 1911 – 1935). L’autre est notre propre ombre, comme Giordano Bruno en avait eu l’intuition. Le poète ainsi est toujours « caméléon » selon le mot de John Keats. Pour sa part, Walt Whitman écrit : « je suis immense, j’ai contenance de foules en moi. […] Qui dégrade autrui me dégrade. Et rien ne se dit ou se fait, qui ne retourne enfin à moi (Chant de moi-même, 1855). » La multiplicité des pseudonymes est une façon de ne pas laisser réduire son soi à un trop pauvre moi. Henri Michaux remarque aussi : « Moi se fait de tout; une flexion dans une phrase ? Est-ce un autre moi qui tente d’apparaître ? Si oui est mien, le non est-il un deuxième moi ? […] On n’est peut-être pas fait pour un seul moi (postface à Plume, 1930). » « On n’est pas seul dans sa peau », écrit encore Michaux (Qui je fus ?, 1927). Fernando Pessoa (dont il faudra un jour expliquer qu’il est le Walter Benjamin portugais), sous le pseudonyme de Bernardo Soares, écrit de son côté : « Je me suis multiplié, en m’approfondissant […] je suis autre dans la manière même dont je suis moi. Vivre c’est être un autre (Le livre de l’intranquillité). » Mais la grande leçon de Pessoa est que l’on reste soi-même même quand on est « un des autres » de soi-même : « J’ai mis bas le masque et je me suis vu dans le miroir./J’étais l’enfant d’il y a quarante ans./Je n’avais changé en rien./Tel est l’avantage de savoir retirer le masque./ On est toujours l’enfant,/Le passé qui demeure,/L’enfant. » Mais dans Bureau de tabac, Pessoa écrit : « J’étais ivre, je ne savais plus remettre le masque que je n’avais pas ôté. » En d’autres termes, et c’est aussi la leçon de Proust, la recherche de l’authenticité absolue est un leurre, ce qui veut dire aussi que se dissimuler est tout aussi illusoire.
L’existence de l’autre pose la question de la mise à l’épreuve, et parce que l’autre est toujours aussi en soi, il y a toujours l’épreuve du Dedans et l’épreuve du Dehors. Dedans/Dehors : c’est dièse/bémol c’est-à-dire que c’est toujours de la musique. Nicolas Bouvier en a fait l’expérience. Cet écrivain-voyageur, l’auteur de L’Usage du monde et de maints récits qui parle tout autant de la descente de l’Inde que de la descente en soi, était « l’œil qui écrit ». Quand il voyage il s’expose. Il est « en garde basse » comme on dit dans le langage de la boxe. Il connaît « l’émoi érotique d’être parti », vertige du dessaisissement, jamais loin, en fait, d’un effroi, et qui, par cela même, rend douloureux, et crucial, et vital de savoir se ressaisir. Pour Nicolas Bouvier, disparu en 1998, dans le voyage, le rapport à soi ne réside plus que dans le corps, mais le corps devenu total, corps marchant, corps souffrant, corps pensant, corps luttant contre ce qui le mine ou le détruit, et parfois corps exultant. « Je voyage pour apprendre et personne ne m’avait appris ce que je découvre ici » écrit-il en 1955, au Sri Lanka, après une immense traversée continentale. Partout l’informe et la névrose et la décomposition de l’esprit menacent. Par quoi se ressaisir ? En se mettant à faire l’inventaire du monde ? Mais c’est là l’illusion : celle d’un rassemblement possible des choses du monde. Il suffit de faire indéfiniment « la poste entre les mots et les choses », il suffit de laisser entrer le monde dans la littérature. Le voyage est toujours voyage vers l’autre tout autant que vers soi. Bouvier le définit ainsi : « C’est une attention fébrile aux êtres et aux choses, une impatience d’absorption qui permet, pour de brefs instants, de saisir le monde dans sa polyphonie (Le poison-scorpion, 1982). » On ne peut mieux dire.
Pierre Le Vigan
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mercredi, 08 octobre 2014
Sortir l’Europe de l’impolitique
Sortir l’Europe de l’impolitique
par Georges FELTIN-TRACOL
Impolitique est un adjectif de la langue soutenue qui se rapporte à un manque d’habilité dans une situation où des intérêts sont en jeu. Dans un nouvel essai, L’effacement du politique, Pierre Le Vigan ne l’utilise pas et, pourtant, l’actuelle politogenèse (pseudo-)européenne ou « construction euro-atlantiste » à vocation mondialiste et d’ambition oligarchique correspond parfaitement à cette définition. Pis, elle la dépasse en excluant le politique de son champ d’horizon. L’auteur constate en effet que « notre continent est sans existence politique, sans volonté, sans défense. Un embryon de gouvernement européen existe, mais en fait, ce sont des équipes de technocrates. Le pouvoir européen n’a pas de légitimité démocratique. Il n’a pas non plus acquis une légitimité par son efficacité. Il a beaucoup réglementé mais n’a guère construit (pp. 21 – 22) ». A contrario, « tout vrai projet politique repose sur la vision d’une singularité de civilisation. C’est pourquoi il est absurde de dire que seule la politique extérieure compte. Extérieure à quoi ? De quel intérieur est-elle l’envers ? C’est toujours la question à se poser. Politique intérieure et politique extérieure sont toujours profondément liées (p. 121) ». Mieux encore, « il n’y a pas de politique sans identités collectives (p. 27) ».
La phobie du politique qu’il discerne dans les discours et les actes officiels de la bureaucratie euro-atlantiste provient en droite ligne du refus d’affirmer l’identité propre de l’Europe. « L’Europe actuelle se veut d’abord universaliste. Sa seule identité serait d’être le réceptacle des identités des autres. On y célèbre tout ce qui n’est pas nôtre (p. 22). » Il faut reconnaître, à sa décharge, que « l’Europe a eu comme destin l’Occident, qui a fini par nier l’Europe elle-même. C’est-à-dire que l’Europe a eu comme destin la démesure, l’hubris. […]L’occidentalisation du monde est devenue la déseuropéanisation de l’Europe. L’Europe n’a pas vocation à offrir un modèle au monde (p. 159) ».
Mais comment définir alors l’identité européenne ? « La géographie donne des indications (Bornéo, non, ce n’est décidément pas l’Europe) mais pas de réponses indiscutables à la question des frontières. C’est le politique qui doit trancher (p. 61). » Il examine ensuite d’autres critères comme le fait ethnique. Sur ce point, Pierre Le Vigan dénie l’ancestralité indo-européenne et rejette la thèse du foyer boréen originel circumpolaire qu’il trouve absurde. Il passe ensuite l’Europe au crible de la religion, puis des valeurs sans, finalement, les estimer déterminantes. Aucune définition ne lui convient parfaitement. En fait, l’auteur récuse toute idée essentialiste de l’Europe. Si une délimitation floue demeure concernant les frontières orientales de l’Europe, l’identité fondamentale européenne repose sur un riche patrimoine spirituel commun et une anthropologie évidente d’ordre bio-culturel partagée entre des peuples issus du même terreau auxquels se rattachèrent d’autres peuples européanisés (Finnois, Estoniens, Lapons, Hongrois, Gagaouzes, etc.). Si son présent est certes marqué par l’impuissance et l’affliction mémorielle, son avenir peut être riche en espoir ou… en désespérance.
Cette désespérance semble prendre le pas sur toutes les tentatives, vénielles et partielles, de renaissance continentale. Du fait de la sécularisation, « le pouvoir politique va s’obliger à ne croire en rien d’ultime. Il va se restreindre à une croyance évidente et minimale : que les hommes veulent la liberté et le bonheur. L’État va donc devenir l’État garant des droits de l’homme (p. 43) ». Désormais, « le processus démocratique consiste en une production sans fin de nouveaux droits de l’homme (p. 90) » si bien que « c’est l’homme qui déclare ses propres droits (p. 87) ». Cette lourde tendance fait que « notre société n’est plus régulée que par le Droit et par le Marché (p. 156) » d’autant que « la pensée libérale est du côté du commerce, et des puissances maritimes. Elle privilégie la morale et l’économie par rapport au politique et à l’État (p. 80) ». La conséquence la plus visible est, à part l’hypertrophie du secteur médiatique au point qu’il phagocyte le minable petit personnel politicien, l’exagération du « pouvoir judiciaire [qui] est une façon de ne pas faire de la politique ou plutôt de la laisser faire par les juges, car il ne suffit pas de nier le politique pour le dissoudre (p. 136) ». Parallèlement, la neutralisation du politique bouleverse la fonction même de l’État. « L’État est fort pour assurer un certain nombre de missions. S’il ne le fait pas, il perd sa légitimité (p. 132). » À croire qu’on arrive au terme d’un cycle historique !
« Au Moyen Âge, les Européens avaient le choix entre trois formes politiques : la Cité, l’Empire, l’Église. La Cité était trop petite, l’Empire trop grand, l’Église trop universelle. Ils ont choisi une forme nouvelle : la nation (p. 136). » Aujourd’hui, le concept de nation apparaît comme une coquille vide, voire comme le serviteur zélé du mondialisme. L’exemple le plus flagrant de ce détournement n’est pas les États-Unis d’Amérique, cette aire peuplé par des strates successives d’immigration, mais la France pervertie par les sottes idées d’une république mortifère. « Les intellectuels de la pensée dominante pensent, non seulement que tout le monde peut devenir français, mais que tout le monde doit souhaiter le devenir, devenir citoyen du “ pays des droits de l’homme ” donc de la seule patrie qui n’est pas une patrie. Ils ont pour le coup raison puisque, être français au sens actuel du terme, cela veut dire : être membre de “ la patrie de la sortie de toutes les patries ”. C’est le comble de l’hypermodernité (ou archimodernité), et par là même c’est le comble de l’humanité. Pourquoi ? Parce que c’est là le stade suprême du dessaisissement de soi, de la rupture avec tous les attachements. C’est la victoire du présentisme intégral (pp. 99 – 100). »
Pierre Le Vigan concède volontiers que « l’Europe actuelle apparaît […] une prison des peuples, une négation de la souveraineté populaire (p. 160) ». En revanche, il assure que « l’Europe actuelle n’est pas fédérale, c’est là l’équivoque qu’il convient de dissiper. Elle est faussement fédérale (p. 162) ». Par cette mise au point, il exprime son attachement à la vocation d’une d’Europe à la fois unie et diverses, d’une Europe politique, véritable garante des procédures démocratiques authentiques. C’est pour l’heure une gageure, « mais qu’entendent les élites par démocratie ? Moins le gouvernement du peuple par lui-même (les élites globalisées ne comprennent tout simplement pas ce que veut dire la notion de “ peuple ”) que le respect de procédures, et des droits individuels : la démocratie, c’est les droits de l’homme. La démocratie selon les élites devient donc un processus de déliaison par rapport au politique : c’est plus de droits de l’homme et moins de droits des citoyens (pp. 58 – 59) » à un moment crucial où « nous vivons une stasis : à la fois une guerre civile interne, moléculaire, et une dissolution de l’intérieur (p. 23) ».
Au terme de son raisonnement de philosophie politique, il considère que la réponse idoine aux défis du XXIe siècle s’appelle l’Empire. Il ne s’agit pas pour lui de relever les vieux slogans totalitaires du XXe. À la suite du philosophe Philippe Lacoue-Labarthe qui appréhendait le national-socialisme hitlérien comme un humanisme, Pierre Le Vigan, Pierre Le Vigan pense que « le nazisme était essentiellement un vitalisme (p. 124) » et qu’il « était, à sa façon, un progressisme (p. 125) ».
Pourquoi donc l’Empire ? Peut-être parce qu’il « est porteur d’un sacré et d’un universel (p. 51) ». Universel et non universaliste, cela a son importance. Le retour du politique passerait-il nécessairement par un compromis post-moderne entre le holisme d’antan et l’individualisme présent ? Pierre Le Vigan le suppose, lui qui voit en Jean-Jacques Rousseau, le seul penseur apte à dépasser cet antagonisme (cette aporie ?) : « Être libre peut pourtant vouloir dire être libre de s’engager, voire libre d’aliéner sa liberté apparente pour une liberté intérieure plus profonde. Mais la modernité refuse cette forme de liberté. La modernité voit l’engagé convaincu comme un aliéné. Il ne faut que des engagements de circonstances et surtout, des engagements qui n’engagent à rien (p. 94). »
Nul doute que L’effacement du politique de Pierre Le Vigan est un essai qui fera date, au-delà des querelles désuètes et déplacées entre un européisme aveugle et un souverainisme réductionniste.
Georges Feltin-Tracol
• Pierre Le Vigan, L’effacement du politique. La philosophie politique et la genèse de l’impuissance de l’Europe, préface d’Éric Maulin, La Barque d’or (12, rue Léon-Blum, 94600 Choisy-le-Roi), 2014, 163 p., 15 € + 4 € de port.
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jeudi, 17 juillet 2014
« L'EFFACEMENT DU POLITIQUE » DE PIERRE LE VIGAN
«L'EFFACEMENT DU POLITIQUE» DE PIERRE LE VIGAN
Un livre indispensable de réflexion pour l'été
Michel Lhomme
Ex: http://metamag.fr
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dimanche, 22 juin 2014
«L’Effacement du politique» de Pierre Le Vigan
«L’Effacement du politique» de Pierre Le Vigan
par Bruno Guillard
Ex: http://cerclenonconforme.hautetfort.com
Impuissance et inexistence de l’Union européenne
Le livre de Pierre Le Vigan est consacré au nihilisme qui sévit dans l’Union européenne à un tel point que toute référence à une identité autre qu’individuelle y est interdite ; or, comme l’écrit l’auteur, il ne peut y avoir de politique en l’absence d’identité collective. C’est sans doute la raison pour laquelle cette Union, qui se veut la seule patrie des droits de l’homme, est incapable d’avoir quelque politique que ce soit :
« Partons de la situation que nous connaissons, en Europe. Notre continent est sans existence politique, sans volonté, sans défense. Un embryon de gouvernement européen existe, mais en fait, ce sont des équipes de technocrates. Le pouvoir européen n’a pas de légitimité démocratique. Il n’a pas non plus acquis une légitimité par son efficacité. Il a beaucoup réglementé mais n’a guère construit. Il est de plus en plus contesté par les peuples (…) Le pouvoir européen prétend faire de l’économie, mais pas de politique. En conséquence, en politique internationale l’Europe n’existe pas. Elle agit, quand elle agit, en éclaireur de la superpuissance américaine. »
Et il ajoute :
« Elle n’existe pas pour plusieurs raisons. Pour exister, il faut être porteur d’une certaine idée de soi. Or, l’Europe actuelle se veut d’abord universaliste. Sa seule identité serait d’être le réceptacle des identités des autres. »
C’est le politique qui doit trancher
Pour Pierre Le Vigan, il n’y a pas d’essence de la culture européenne :
« Il n’y a pas d’essence de la culture européenne. Il y a certes des traits communs à l’Europe : ce n’est pas une terre où l’islam ne s’est imposé autrement que par la force, lors des conquêtes de l’Empire ottoman, mais c’est aussi une terre où la christianisation ne s’est pas faite sans violence. L’Europe est une terre de grands philosophes, mais qui n’étaient en général d’accord sur rien. Ils n’ont en aucune façon développé une “philosophie européenne”, à moins d’appeler ainsi un champ de bataille intellectuelle. Il y a eu certes des créations littéraires spécifiques à l’Europe, telles celles d’Homère, mais sont-elles d’abord grecques ou d’abord européennes ? C’est là toute la question. N’est-il pas abusif (bien que séduisant) d’en faire l’emblème de l’Europe ?’ »
En effet, s’il est vrai qu’il n’y a pas plus proche d’un peuple européen qu’un autre peuple européen, il n’en reste pas moins vrai qu’il n’y a pas plus de culture européenne que de peuple européen. Les cultures des peuples européens se sont différenciées depuis fort longtemps (au moins depuis l’expansion des peuples indo-européens) mais elles ont conservé un air de famille parce qu’elles se sont influencées mutuellement quoique de manière inégale et partielle ; ce qui fait que les cultures européennes forment un patchwork assez harmonieux malgré l’existence de différences parfois importantes.
« Revenons à la définition de l’Europe par la “culture européenne”, c’est-à-dire à la thèse que les Européens sont tout d’abord des Européens, puis des Croates, des Finlandais, des Ecossais, des Danois, etc. Qu’est-ce qui caractérise cette culture européenne ? Nos “ancêtres” indo-européens ? Mais “indo-européen” désigne un groupe de langues bien plus qu’une race ou un groupe de peuples. Si l’appartenance au rameau (ethnique ou linguistique, qu’importe à ce stade) indo-européen est le critère, alors pourquoi ne pas intégrer à l’Europe Indiens, Sri-lankais (sauf les Tamouls), Afghans, Arméniens, et bien sûr Kurdes et Tziganes (Roms) ? Notons encore que l’un des principaux foyers des langues indo-européennes fut l’Anatolie, dans l’actuelle Turquie, ce qui décidément ne plaide pas pour une Turquie hors d’Europe. On se demande d’ailleurs pourquoi cette origine culturelle commune, puisqu’elle est censée exister et influer, ne produit pas une grande facilité d’intégration des Roms, authentiques indo-européens ? Tandis que nous constaterions d’incessantes difficultés d’intégration avec les Basques ou les Hongrois qui ne sont pas indo-européens ? A moins que ce critère d’indo-européanité n’ait finalement aucun sens actuel, et ne relève du simple plaisir de l’érudition. »
Il n’y a pas non plus d’essence religieuse de l’Europe, car s’il est vrai que le christianisme a marqué profondément la culture européenne, il n’en est pas moins vrai qu’il a éclaté en plusieurs rameaux qui se sont très souvent opposés de manière très violente. De plus, le christianisme n’est plus une caractéristique propre aux Européens parce qu’il a été adopté par de nombreuses populations dans le reste du monde ; il est impossible de le considérer comme étant la base d’une identité européenne et ce, d’autant plus que la déchristianisation progresse très régulièrement sur notre continent.
« Cette religion par définition universelle a essaimé hors d’Europe, sachant au demeurant qu’elle n’est pas née en Europe, et dès lors on ne voit pas très bien comment une culture européenne pourrait se définir principalement par rapport au christianisme devenu largement non européen. »
Existe-t-il une essence géographique de l’Europe qui imposerait l’union de tous les peuples vivant dans le territoire bordé par l’Atlantique, la mer du Nord, l’océan Arctique, l’Oural, le Caucase, les détroits et la Méditerranée ? Si oui, il faut considérer alors qu’une partie de la Turquie est européenne et que la partie de la Russie située au-delà de l’Oural ne l’est pas ; ce qui n’est pas très pertinent.
De même, il est impossible de faire de la démocratie, de l’idéologie des droits de l’homme ou des Lumières des éléments d’une essence européenne, car dans ce cas il faudrait considérer que les Turcs inspirés par la Révolution française, les Australiens et les Africains du Sud qui vivent dans des pays démocratiques sont aussi des Européens.
Pierre Le Vigan conclut très justement en disant que l’Europe ne peut être qu’une construction politique alors que la création de la CEE, puis celle de l’UE, ont été conçues dès l’origine comme une sortie du politique :
« On a en quelque sorte voulu faire l’Europe non seulement pour sortir des guerres intra-européennes (et on n’y est même pas arrivé – voir les Balkans) mais pour sortir du politique. On constate au contraire que si l’Europe se fait, elle se fera par la politique et ni par l’économie ni par la culture. »
Vers l’Empire ?
Pierre Le Vigan conclut son livre en plaidant pour la création d’un « Empire européen » mais la notion d’Empire présente l’inconvénient de manquer de précision et de recouvrir des réalités très différentes. De l’Empire romain à l’Empire américain en passant par l’Empire de Charlemagne, le Saint-Empire romain germanique, l’Empire des Habsbourg, le deuxième et le troisième Reich, l’Empire napoléonien, celui de Napoléon III et les empires coloniaux, il y en a pour tous les goûts. Pierre Le Vigan conclut son livre en écrivant :
« L’Empire c’est le nom ancien, et, pour mieux dire, c’est le nom de toujours du principe fédératif (…) Il faut ouvrir la voie à autre chose : l’association entre nos patries, la coopération sans l’uniformité, la souveraineté commune. Cela porte un nom, et c’est l’idée d’Empire, et cela repose sur un principe, c’est la subsidiarité, et c’est donc la fédération des peuples d’Europe. »
Pierre Le Vigan ne précise pas ce qu’il entend par fédération ni d’ailleurs s’il pense à une fédération de tous les peuples (ce qui semble ambitieux) ou de certains d’entre eux seulement (ce qui serait plus raisonnable). Par ailleurs, que la notion d’empire et celle de fédération soient synonymes ne va pas de soi. Ainsi Olivier Beaud a écrit que ce sont des notions radicalement différentes parce que les empires ont toujours été coercitifs :
« Par là, elle se distingue de la notion d’empire, qui agrège des unités politiques par la force et non par un consentement mutuel. »
Olivier Beaud distingue aussi la fédération, dans laquelle les peuples ne se fusionnent pas, de l’Etat fédéral qui est un Etat unitaire (dans lequel il n’y a pas une pluralité de communautés souveraines) respectant le principe « althusien » selon lequel les décisions doivent être prises au niveau le plus « bas » possible. Pierre Le Vigan écrit que l’Empire devra reposer sur le principe de subsidiarité et que la souveraineté deviendra commune mais Althusius, qui est le grand penseur de la subsidiarité, considérait que dans ce qu’il a appelé la « consociatio symbiotica », chacune des communautés associées conserve son entière souveraineté et délègue, sous condition, une partie seulement de celle-ci tout en en demeurant la seule détentrice (elle ne la partage pas) ; en conséquence, elle conserve la possibilité de mettre un terme à cette délégation.
Alors, fédération, empire, confédération, état fédéral ou alliance interétatique ? Il y a là un sujet pour un ouvrage passionnant.
Bruno Guillard
10/06/2014
Pierre Le Vigan, L’Effacement du politique / La philosophie politique et la genèse de l’impuissance de l’Europe, préface d’Eric Maulin, éditions La Barque d’Or, 164 pages.
Source et compléments: Polémia
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jeudi, 08 mai 2014
L'effacement du politique...
L'effacement du politique...
Pierre Le Vigan vient de publier aux éditions de La Barque d'or L'effacement du politique - La philosophie politique et la genèse de l'impuissance de l'Europe. Collaborateur des revues Eléments, Krisis et Le Spectacle du monde, Pierre Le Vigan a notamment publié Inventaire de la modernité avant liquidation (Avatar, 2007), Le Front du Cachalot (Dualpha, 2009) La banlieue contre la ville (La Barque d'Or, 2011), Écrire contre la modernité (La Barque d'Or, 2012) et Chronique des temps modernes (La Barque d'Or, 2014).
Le livre peut être commandé à l'adresse suivante, pour la somme de 19 euros, port compris :
Editions La Barque d'Or
12 rue Léon Blum
94600 Choisy le Roi
" « Le politique est une instance, il lui faut une substance.»
« Dans l'Europe actuelle, l'unique a été privilégié sur le commun (ainsi pour la monnaie). Pire, l'unique a tué le commun.»
«Faut-il choisir le retour à nos vieilles nations contre l'Europe ? Cela ne parait pas durablement possible. Qui peut penser que nos nations soient à l'échelle des grands empires du monde : USA, Chine, Inde, Brésil... ? Faut-il alors construire une nation européenne, l'équivalent de nos vielles nations mais à l'échelle de l'Europe ? Interrogeons-nous. Si le volontarisme est nécessaire, est-il toujours suffisant ? Peut-on en quelques décennies refaire le processus de construction des nations qui s'est étalé sur plusieurs siècles ? Il faut sans doute faire une Europe politique mais pas comme une «supernation». Comme autre chose. Et c'est là qu'il faut certainement recourir à l'idée d'Empire. La repenser comme notre nouvelle chose commune. Faire revivre une idée à la fois très ancienne et très neuve ? » "
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samedi, 03 mai 2014
Albert Camus et l’ordre du monde
Pierre Le Vigan:
Albert Camus et l’ordre du monde
Conférence au Cercle George Orwell, 9 avril 2014
Qu’est ce qui caractérise la pensée d’Albert Camus ? L’amour du monde et le souci de l’homme. En d’autres termes, c’est l’amour du monde et le souci de la justice. Plus encore, il convient de dire : l’amour du monde et le souci d’être juste. La justice n’est en effet pas une question extérieure à l’homme, c’est une exigence qu’il incombe à chacun de porter. De là est issue la conception camusienne de la responsabilité de l’homme. Il en ressort que l’écrivain Albert Camus rejette l’historicicisme. Il y a chez Camus une double dimension : éthique, et c’est le souci d’être juste qui doit animer l’homme, et esthétique. C’est cette vision esthétique qui va retenir notre attention. C’est la vision du monde de Camus, l’ordre du monde selon Camus.
Jean-Paul Sartre et Françis Jeanson ont reproché à Camus son « incompétence philosophique ». La mesure et la limite ne font pas une philosophie, suggèrent-ils. Mais Camus est loin de se borner à l’éloge au demeurant nécessaire de la limite, de la prudence (la phronesis) et au refus de la démesure (l’hubris).
Albert Camus refuse le culte de l’histoire, il récuse « ce jouet malfaisant qui s’appelle le progrès » et en refusant le culte de l’histoire rejette « les puissances d’abstraction et de mort ». Au-delà de l’histoire et du progrès, c’est au culte de la raison qu’il refuse de sacrifier. « Je ne crois pas assez à la raison pour croire à un système », affirme-il. Camus choisit donc le monde contre l’histoire même si un jour il affirma le contraire (dans Le mythe de Sisyphe). En conséquence, il n’y a pour lui pas de violence légitime pour des raisons métaphysiques. La violence peut être nécessaire à un moment donné, rien de plus. L’histoire n’efface jamais la responsabilité humaine. Pourquoi ? Parce que c’est le monde, c’est le cosmos qui est à l’origine de tout, et non l’histoire.
A deux reprises, Albert Camus met en exergue des paroles d’Hölderlin. Dans L’Homme révolté il est question de « la terre grave et souffrante », dans L’été Camus écrit qu’un homme est « né pour un jour limpide ». L’œuvre de Camus est d’inspiration cosmique : « le vent finit toujours par y vaincre l’histoire » (Noces). Camus retourne même la formule de Terence « rien de ce qui est humain ne m’est étranger » pour expliquer que « rien de ce qui est barbare ne nous est étranger ». Camus fait l’éloge d’une « heureuse barbarie » initiale, primordiale. C’est que les puissances du monde renferment un « être plus secret ». La pensée de Camus est inspirée par « les jeux du soleil et de la mer ». Cela nous renvoie au quadriparti (Das Geviert) de Heidegger. Il s’agit des quatre « régions » du monde : la terre, le ciel, les hommes (les mortels) et les dieux (les immortels).
Chez Camus, le soleil renvoie au ciel, la mer renvoie à la terre. Restent les hommes et les dieux. « Les soupirs conjugués de la terre et du ciel couvrent les voix des dieux et exténuent les paroles des hommes » dit à ce propos Jean François Mattéi. Quand l’histoire se fait oublier (et le monde aide à vite l’oublier), il ne reste qu’un « grand silence lourd et sans fêlure ». Il y a un jeu amoureux entre la terre et le ciel, un ballet, une symphonie, un soupir réciproque, et n’oublions pas à ce moment que Camus avait travaillé sur Plotin, chez qui le soupir est une notion centrale. On pense aussi à Rainer Maria Rilke : « Sur le soupir de l'amie / toute la nuit se soulève, / une caresse brève / parcourt le ciel ébloui. / C'est comme si dans l'univers / une force élémentaire / redevenait la mère / de tout amour qui se perd. » (Vergers).
Albert Camus évoque souvent « la grande respiration du monde », « le chant de la terre entière », la présence physique de la terre (et il ne faut pas oublier que cela inclue la mer chez Camus, c’est-à-dire le proche, le sensible, le charnel). Camus parle encore de la « vie à goût de pierre chaude ». Chaque jour, la terre renouvelle, dans ses noces avec le ciel, le miracle du premier matin du monde. Tout est écrit dans la description de cette fenêtre que fait Camus dans L’envers et l’endroit (1938) ; c’est une fenêtre par laquelle il voit un jardin, sent la « jubilation de l’air », voit cette « joie épandue sur le monde », sent le soleil entrer dans la pièce, l’habitat de l’homme envahi par l’ivresse du monde, le « ciel mêlé de larmes et de soleil », l’homme saisi par le cosmos, écoutant la leçon du soleil. C’est l’homme et sa pitié qui reçoivent le don royal de la plénitude du monde et c’est pourquoi il faut « imaginer Sisyphe heureux » (comme l’a dit le philosophe Kuki Shuzo avant Camus). Cet embrasement du monde amène les noces de l’homme et de la terre. C’est cela qu’il faut préserver.
Dans le quadriparti, il y a un équilibre à connaitre et à respecter. Le nazisme et, d’une manière générale, les totalitarismes ont consisté en une alliance entre les hommes et de faux dieux, des idoles en fait (la race, la société sans classe) au détriment de la terre c’est-à-dire du proche, du concret, du charnel, de l’immanent, et aussi au détriment du ciel, c’est-à-dire du transcendant. C’est pourquoi Camus ne choisit pas l’histoire contre le totalitarisme, c’est-à-dire une histoire contre une autre ; il choisit la justice comme figure humaine de la terre. « J’ai choisi la justice au contraire pour rester fidèle à la terre. » écrit-il dans Lettres à un ami allemand.
Ciel et terre, l’un n’est pas concevable sans l’autre, la terre se tourne vers le ciel, le ciel se penche sur la terre. Les noces du ciel et de la terre orchestrent celles de tout le quadriparti, c’est à dire incluent les vivants mortels que sont les hommes et les vivants immortels que sont les dieux. Ce sont ce que René Char appelle les « noces de la grenade cosmique ».
Chez Camus, cet ensemble prend une tournure particulière. Le ciel, c’est le père, ce père que Camus n’a pas connu et qui reste donc pour lui un silence, une énigme, tandis que la terre, c’est sa mère, et c’est la mer, l’élément liquide aussi, la mer dans laquelle on se baigne, et la mer d’où vient la vie. Ciel et terre, cela veut dire père et mère : le père de Camus était mort et sa mère, illettrée, ne savait déchiffrer les signes des hommes.
Les dieux, quant à eux, font signe mais ne disent rien et bien fol est celui qui croit savoir quel message ils délivreraient s’il leur convenait d’en signifier un. Pour Camus, comme pour Hölderlin, nous ne venons pas du ciel, la terre est « le pays natal » et c’est le but : « ce que tu cherches cela est proche et vient déjà à ta rencontre. » dit Hölderlin.
Où habitent les hommes et les dieux ? Dans l’entre-deux entre le ciel et la terre. L’Ouvert, c’est justement ce qui permet d’accueillir hommes et dieux, gestes des hommes et signes des dieux. Notre patrie est là, terre et ciel, terre sous le ciel, terre grande ouverte vers le ciel, « au milieu des astres impersonnels », écrit René Char, si souvent proche de Camus.
Mais voilà que risque de s’éteindre le chant nuptial du ciel, nous dit Camus, cette grande danse du quadriparti. Voici que s’absentent les dieux, et voici que les hommes oublient d’être au monde. Voici que l’homme, à sa fenêtre, ne découvre plus que sa propre image. Que sont les gestes des hommes sans signes divins ? Ces gestes ne peuplent plus l’Ouvert du sacré. Les dieux ne font plus lien entre le ciel et la terre. La terre ne fait alors plus signe vers le ciel. Aux hommes, la terre ne parle plus. Il ne reste que les grands « cris de pierre ».
Or, quand plus rien ne fait signe, c’est alors que les gestes deviennent insensés, c’est le meurtre gratuit de l’Arabe par Meursault dans L’étranger (en ce sens, qui est Meursault ? Celui qui ne triche pas, celui qui déchire le voile social. Il refuse les facilités sociales qui trouvent trop facilement un sens au monde), alors, ce sont les totalitarismes sanglants, alors, maintenant, c’est le totalitarisme liquide de notre époque, c’est le rêve insensé d’une plasticité totale de l’homme et l’idéologie « pourtoussiste » (mariage pour tous, procréation pour tous, choix de son sexe pour tous), comme si de petites gesticulations humaines pouvaient remplacer le grand murmure du monde. Nous sommes maintenant loin de Friedrich Hölderlin qui disait dans La mort d’Empédocle : « Et ouvertement je vouai mon coeur à la terre grave et souffrante, et souvent, dans la nuit sacrée, je lui promis de l’aimer fidèlement jusqu’à la mort, sans peur, avec son lourd fardeau de fatalité, et de ne mépriser aucune de ses énigmes. Ainsi, je me liai à elle d’un lien mortel. »
Oui, la beauté, c’est-à-dire en un sens la vérité de l’amour, a déserté le monde, mais nous savons une chose, elle est aussi réelle que le monde lui-même, nous ne savons pas si elle « sauvera le monde » mais nous savons que le monde ne se sauvera pas sans elle.
Pierre Le Vigan.
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mercredi, 27 novembre 2013
Où va le monde ?
Où va le monde ? Et pourquoi le pire n’est pas encore sûr !
par Pierre LE VIGAN
L’une des responsabilités du politique, sinon la première, c’est de ne pas compromettre l’avenir. Cela implique de prendre en compte les risques de catastrophe sociale, écologique et autre. Quatre auteurs répondent ici à ces questions avec des préoccupations proches mais des sensibilités intellectuelles différentes.
Pour Yves Cochet, dont les idées sont parfois très discutables mais ont le mérite d’exister, par ailleurs le seul politique des quatre auteurs, le culte du retour de la croissance va se fracasser contre le mur du réel. La croissance élevée ne reviendra plus : l’énergie abondante et pas chère c’est fini. De là l’idée que les objecteurs de croissance doivent continuer d’autant plus à développer un autre imaginaire que la croissance, cette religion du toujours plus. Quel imaginaire ? Celui d’une société de sobriété, de partage, de nouvelles autonomies collectives.
Dès maintenant un grand accident écologique est possible : ce que l’on pourrait nommer un supplément du destin ou une accélération du destin. Loin de tout délectation morbide, il faut penser la catastrophe possible pour pouvoir peut-être l’éviter : c’est le « catastrophisme éclairé » pour lequel plaide Jean-Pierre Dupuy. Se saisir du temps du projet pour agir avant qu’il ne soit trop tard.
Mais il faut agir sur plusieurs fronts car l’écologie et l’économie font système. Explications. La folie de la finance a mis en péril l’économie réelle, celle qui, avec les P.M.E., crée la richesse réelle et l’emploi. En d’autres termes, la production est attaquée et souvent liquidée par l’économie casino. Ensuit, c’est la société elle-même, avec les États menacés de faillite, qui souffre de la crise de l’économie réelle. En bout de chaîne, c’est la planète dont les ressources et les équilibres sont détruits par la logique du turbocapitalisme. Une « sortie » de crise possible se profile. Elle n’est pas rose. C’est le replâtrage autoritaire du système, au profit d’une minorité de très riches. Mais ce n’est pas une fatalité. À l’encontre de ce risque de dérive oligarchique et autoritaire, l’objectif rassembleur pourrait être, selon Susan George, de reconstruire une société humaine à partir de l’idée que la terre n’est pas un bien inépuisable. « On ne peut jamais gagner une guerre contre la nature » note Susan George. Nous sommes dans une planète de plus en plus remplie, et avec des terres cultivables qui ne sont pas multipliables à l’infini. D’où la nécessité de faire de l’usage économe et respectueux de la planète notre loi suprême.
Une planète rétrécie, mais quelles conséquences sur les humains ? Serge Latouche émet l’hypothèse d’une double tendance : d’un côté un mouvement vers l’uniformisation mondiale des usages technologiques – une humanité homogène –, de l’autre une tendance à la constitution, sur la base de la séparation politique, voire de l’apartheid, d’entités collectives de plus en plus réduites, de plus en plus identifiées par des références prémodernes (l’ethnie, la religion, etc). Des micro-États ou de grandes « tribus ». Exemples : les petits pays issus de l’éclatement de l’ex-Yougoslavie, l’Ossétie du Sud, le Sud-Soudan, le Somaliland… Homogénéité du monde ou éclatement ? C’est cette dernière tendance qui est dominante selon Serge Latouche. Mais la fragmentation des États-nations n’est-elle pas le moyen pour les grandes puissances de conforter leurs positions ? D’être plus fort face à des petits encore plus petits et plus isolés ? C’est plus que probable, ce qui n’enlève rien à la réalité d’aspirations à des liens plus locaux, par réaction sans doute aux effets de la mondialisation.
La deuxième remarque qu fait Serge Latouche concerne l’existence de deux phases dans la crise. Une première phase, de 2007 à 2008, avec la crise des subprimes puis la faillite de Lehman Brothers, a été marquée par l’affichage de velléités de régulation du système financier par les États. « Le marché qui a toujours raison, c’est fini », s’exclamait Sarkozy en septembre 2008. Mais concrètement la seconde phase de la crise n’a pas vu la mise en place d’une régulation nouvelle mais a été marquée par la prise en charge des dettes privées, celles des banques, par les États et donc par les citoyens, avec comme conséquence une transmission des risques de faillite aux États. Premières victimes : les systèmes de protection sociale et les services publics. Et conséquence logique : une politique d’austérité visant à faire payer le coût de la dette aux classes populaires et aux classes moyennes. Le sauvetage des banques a ainsi coûté environ le tiers du P.I.B. mondial, indique Latouche. L’estimation est peut-être surévaluée mais les sommes sont en tout cas de 20 % de la richesse nationale pour le Royaume-Uni, et de 7 % pour la France. Elles sont donc considérables.
Surtout, la finance continue de représenter des montants de dix à quinze fois supérieurs à l’économie réelle. La déconnexion entre les deux sphères ne pourra être maintenue longtemps. Seul le crédit en flux continu et le mythe d’une croissance perpétuelle l’a rendu possible pendant un temps, et à quel prix ! Mais le modèle de la guerre de tous contre tous a sapé les fondements mêmes de la société.
La mondialisation n‘a pas été autre chose, explique Latouche, que « l’omnimarchandisation du monde ». Quand ce cycle est accompli, il amène les hommes à réinventer les vertus de l’autonomie locale, de la débrouille, des petits marchés locaux. Une alternative au grand marché mondial ? « À moins de remettre en cause la société de croissance, on n’échappera pas au chaos. C’est effectivement : décroissance ou barbarie », conclut Serge Latouche.
Pierre Le Vigan
• Yves Cochet, Jean-Pierre Dupuy, Susan George, Serge Latouche, Où va le monde ? 2012 – 2022 : une décennie au devant des catastrophes, Mille et une nuits, 78 p., 3,50 €.
Article printed from Europe Maxima: http://www.europemaxima.com
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jeudi, 26 septembre 2013
PIERRE LE VIGAN : UN OUVRAGE EN PERSPECTIVE
Entretien avec http://metamag.fr
Propos recueillis par Jean PIERINOT
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lundi, 22 juillet 2013
CHARLES ROBIN ou "Le libéralisme comme volonté et comme représentation"
CHARLES ROBIN ou "Le libéralisme comme volonté et comme représentation"
Pierre Le ViganEx: http://metamag.fr
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dimanche, 07 juillet 2013
Entretien avec Pierre Le Vigan
« J’ai écrit jeune dans des revues ou bulletins de la droite radicale.
J’y ai toujours un peu fait figure d’atypique, mais en fait, il y a bien plus d’atypiques qu’on ne le croit dans ce milieu »
Entretien avec Pierre Le Vigan, auteur du Front du Cachalot (éditions Dualpha)
(Propos recueillis par Fabrice Dutilleul)
Né en 1956, Pierre Le Vigan a grandi en proche banlieue de Paris. Il est urbaniste et a travaillé dans le domaine du logement social. Collaborateur de nombreuses revues depuis quelque 30 ans, il a abordé des sujets très divers, de la danse à l’idéologie des droits de l'homme, en tentant toujours de s'écarter des pensées préfabriquées. Attentif tant aux mouvements sociétaux ou psychiques qu'aux idées philosophiques, il a publié, notamment dans la revue Éléments, des articles nourris de ses lectures et de ses expériences et a été un des principaux collaborateurs de Flash Infos magazine.
Pour quoi avoir réuni vos carnets sous ce titre ?
C’est le mystère que j’ai voulu exprimer, le mystère de nos destinées, de notre présence terrestre. D’où mon allusion au front « chaldéen », donc difficilement déchiffrable, et toujours polysémique, du cachalot, front plein de traces, de griffures, de vestiges. Cet animal, un cétacé et un mammifère, est un peu notre frère et notre double. C’est le miroir de notre force et de notre fragilité. C’est pourquoi Philippe Randa a mis une photo de cachalot sur la couverture de mon livre.
Racontez-nous votre itinéraire…
En deux mots, j’ai écrit jeune dans des revues ou bulletins de la droite radicale, dirigés par Maurice Bardèche, François Duprat et Jean-Gilles Malliarakis, notamment. J’y ai toujours un peu fait figure d’atypique, mais en fait, il y a bien plus d’atypiques qu’on ne le croit dans ces milieux. Très vite, je me suis intéressé à la Nouvelle droite en étant malgré tout un peu allergique à certains de ses aspects, jusqu’en 1975/1980. Après, je me suis retrouvé de plus en plus en phase avec les gens d’Éléments, qui est d’ailleurs le magazine qui a accueilli une partie de mes carnets avant leur publication dans Le Front du Cachalot.
De quoi parlez-vous dans Le Front du Cachalot ?
De politique, de l’amour, de l’art, des doutes… C’est un peu une maïeutique. Elle est à usage collectif. Le moi n’est pas important. Ce qui compte, c’est le « nous » : comment allons « nous » construire quelque chose ensemble ? Comment allons-nous « nous » libérer de ce monde gris et moche de la marchandise, de la « pub », de la non-pensée, des slogans ?
Vous parlez de maïeutique à propos de vos carnets, c’est donc un peu une histoire de réminiscence ?
Oui, le chaldéen auquel je faisais allusion, c’est une langue, c’est l’araméen, cela remonte loin. Je pars du principe suivant : nous en savons toujours plus que nous ne le croyons, plus sur nous et plus sur le monde. Seulement, cela nous encombre un peu, ce que nous savons. Cela nous fait peur, alors nous travaillons à oublier ce que nous savons.
Le Front du Cachalot de Pierre Le Vigan, éditions Dualpha, collection «À nouveau siècle, nouveaux enjeux», dirigée par Philippe Randa, 578 pages, 35 euros.
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vendredi, 28 juin 2013
Le cauchemar pavillonnaire
LE CAUCHEMAR PAVILLONNAIRE
Une critique qui fera date
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dimanche, 09 juin 2013
Pour une critique populiste de la gauche
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samedi, 08 juin 2013
Conférence de Pierre Le Vigan sur la pensée de Michéa
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mercredi, 24 avril 2013
Psychopathologie : une introduction phénoménologique de Georges Charbonneau
Pierre Le Vigan:
Psychopathologie : une introduction phénoménologique de Georges Charbonneau
Auteur d’un ouvrage sur les personnalités hystériques, le psychiatre et phénoménologue Georges Charbonneau anime aussi la revue Le Cercle herméneutique. Il vient de publier un livre qui condense ses réflexions depuis plus de 20 ans. C’est aussi le fruit des travaux de l’école de phénoménologie psychopathologique. Cette école, parfois aussi appelée psychothérapie existentielle, reste marquée par les noms d’Eugène Minkowski (Traité de psychopathologie), Ludwig Binswanger (Mélancolie et manie, Trois formes manquées de la présence humaine), Hubertus Tellenbach (La mélancolie), Wolfgang Blankenburg (La perte de l’évidence naturelle), Arthur Tatossian (La phénoménologie des psychoses) et quelques autres. En toile de fond c’est le Martin Heidegger d’Etre et temps (1927) dont les hypothèses sont sollicitées et en quelque sorte remises au travail.
Le premier tome de l’ouvrage de Charbonneau est essentiellement consacré aux névroses. Il concerne aussi les personnalités pathologiques. Le second tome est consacré aux psychoses : délire et paranoïa. Il aborde donc les crises du Soi, ce qu’on appelle l’ipséité. L’ouvrage remplit pour l’essentiel son cahier des charges : ouvrir un tableau articulé et dialectique des manifestations psychopathologiques et de leurs significations comme déformation, ou altération, de la présence humaine. Certes, le plan traduit quelques flottements : les dépressions non mélancoliques donc non psychotiques sont ainsi traitées dans le tome II essentiellement consacré aux psychoses ; elles eussent été plus à leur place dans le tome I, à côté du chapitre sur la fatigue et ses différentes formes.
Sans doute aussi, l’usage répété de certains termes « bricolés » (ruptivité, nostrité, mienneté, chacunité, sienneté…) peut agacer : les ressources de la langue française offrent bien des possibilités et c’est la grandeur d’intellectuels généralistes comme Alain Finkielkraut, Luc Ferry, André Comte-Sponville, Ludovic Maubreuil ou Eric Werner d’énoncer des choses subtiles avec les mots de tout le monde et dans une langue compréhensible par tout homme de bonne volonté. L’usage de mots complexes ou pseudo-innovants vise bien souvent à créer une barrière artificielle, qui n’est autre qu’une barrière sociale de distinction au sens de Pierre Bourdieu, et crée une désagréable atmosphère d’élitisme autoproclamé.
Il n’en reste pas moins que le lecteur aurait tort d’en rester à ce possible et légitime agacement, non plus qu’au fait que le numéro de Krisis sur la psychologie n’est pas cité alors que les proximités de certaines des analyses développées avec celles du livre de G. Charbonneau sont évidentes et connues de l’auteur. Qu’importe. Krisis veut justement dire jugement, et ce sont les idées qu’il faut juger. Or, dans le présent ouvrage, l’analyse des malaises dans l’homme, des délires, des décrochages existentiels, des ruptures d’avec le monde commun, de l’hystérie en termes de position dans l’espace, des pathologies de la personnalité en termes d’expérience du monde, et en termes d’analyse de l’humeur c'est-à-dire le thymique, constituent de vrais points d’appui pour chacun d’entre nous, confronté à notre fragilité d’être-jeté-dans-le-monde.
Par ailleurs, des développements de concepts sont bienvenus, tels l’historialité, l’auroréal et le vespéral (ou, pour le dire plus simplement, le matinal et le couchant) qui, pour avoir déjà été analysées (souvent par la sémiotique, avec notamment Jacques Fontanille et Claude Zilberberg) avaient rarement été synthétisés de manière complète et dans une perspective unificatrice. Un livre indispensable pour mieux se comprendre, soi-même et les autres, soi-même avec les autres.
Pierre Le Vigan.
Georges Charbonneau, Introduction à la psychopathologie phénoménologique, MJW féditions, diffusion Vrin, tome I, 236 pages, 20 E, tome II, 215 pages, 20 E.
Pierre Le Vigan est auteur de Le malaise est dans l’homme. Psychopathologie et souffrances psychiques de l'homme moderne, Avatar, 2010, 195 p. , 22 €. www.avatareditions.com
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vendredi, 19 avril 2013
Écrire contre la modernité
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dimanche, 14 avril 2013
P. Le Vigan: libérer le peuple des illusions du progrès!
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samedi, 27 octobre 2012
Différence sexuée et orientation sexuelle : ne pas tout confondre
Différence sexuée et orientation sexuelle : ne pas tout confondre
par Pierre LE VIGAN
La protestation de députés U.M.P. vis-à-vis de la nouvelle rédaction des manuels de Première en Sciences de la vie et de la terre (S.V.T.) amène, à nouveau, à s’interroger sur une polémique où la stupidité n’est pas d’un seul côté.
L’émission « Répliques » de France Culture, du 8 octobre 2011, a encore abordé ce débat sous le titre « Théorie du genre, différence des sexes ».
De quoi s’agit-il ? Les manuels de Première en S.V.T. indiquent « si l’identité sexuelle et les rôles sexuels et ses stéréotypes dans la société appartiennent à la sphère publique, l’orientation sexuelle appartient à la sphère privée ». Paradoxe : affirmer dans un manuel public que « l’orientation sexuelle appartient à la sphère privée » est quelque peu contradictoire. Mais l’essentiel est ailleurs. L’identité sexuée c’est pour l’immense majorité d’entre nous le genre sexuel, masculin ou féminin, qui nous est assigné par la nature, ou si on préfère, le hasard ou encore le destin. L’ambiguïté anatomique est ici très rare et donc l’identité sexuée est pour l’immense majorité un non-problème. Elle est évidente. À côté de cela, on parle parfois d’une identité sexuelle, qui serait plus ouverte. Si on veut dire par là que, dans la psychologie de chacun, cœxistent des éléments féminins et des éléments masculins, c’est exact. Mais la notion d’identité sexuelle tend plutôt à introduire de la confusion. Ce qu’il faut mettre en rapport avec l’identité sexuée, c’est bien plutôt la notion d’orientation sexuelle. Or celle-ci est effectivement ouverte, un homme peut aimer les hommes, en tout cas les préférer. Idem pour une femme qui peut préférer ses semblables au sexe opposé. Ce que nous apprend la sociologie la plus élémentaire, c’est tout de même que cette orientation ne concerne rarement plus de 10 % d’une population. Elle est marginale comme celle des collectionneurs de timbres ou des passionnés d’histoire napoléonienne, ce qui bien entendu ne dit rien de sa valeur ou de non-valeur.
Soyons clair : l’idée de discriminer les homosexuels est antipathique, l’idée de les recenser aussi – ce qui paradoxalement invalide l’idée défendue par certains homosexuels d’imposer le « outing », déclaration comme quoi on est ou on a été à l’occasion praticien de l’homosexualité. Pour ma part, je trouve souhaitable d’éduquer au rejet de l’homophobie, c’est-à-dire à combattre l’idée que les homosexuels seraient moins respectables (ou moins courageux, ou moins franc, moins loyaux, etc.) que d’autres. Cela fait partie des multiples aspects de la morale civique, et d’ailleurs de l’intelligence la plus élémentaire. L’important est de ne pas tout confondre. Or une tendance actuelle tend à dire que les orientations sexuelles ne sont que le fruit d’un conditionnement culturel et qu’il faut combattre celui-ci. Dans cette perspective, c’est toute la littérature enfantine, ou une bonne partie de la littérature tout court qui font partie de ce conditionnement. On voit l’absurdité. L’histoire de l’homme comme créateur d’œuvres littéraires et artistiques est condamnée. Or l’histoire de l’homme n’est pas autre chose que l’expression de ce qui lui est propre anthropologiquement. Le genre, c’est-à-dire être homme ou femme fait partie de l’identité sexuée et un homosexuel homme reste du point de vue de la sexuation pleinement un homme, sauf cas très rares des transsexuels. L’orientation sexuelle est bien autre chose que l’identité sexuée c’est-à-dire le genre, masculin ou féminin, elle relève bien souvent d’une histoire personnelle que la société – et, pour le coup, nous serons d’accord avec le manuel de première, – n’a pas à connaître; c’est une affaire privée. Voir dans le genre, comme le font les gender studies (« études de genre ») bénéficiant avec une folie inconscience d’une chaire à Sciences Po une pure histoire de rapports de force, et en clair de domination des schémas masculins, c’est un contresens total. C’est surtout du constructivisme anthropologique dans la filiation directe du communisme le plus stalinien. Que l’identité sexuée ait à voir non seulement avec l’anatomie mais avec les sédimentations culturelles, c’est une évidence et cela prouve une fois de plus que la nature de l’homme, c’est aussi d’avoir une culture : l’homme est un animal naturel et culturel. Mais que les sédimentations culturelles soient l’origine – et une origine soi-disant « artificielle » – des identités sexuées est absurde.
Freud faisait l’éloge des « belles différences ». L’écrivain Michel Schneider s’attache aussi à la valeur symbolique et structurante pour l’homme de ces « belles différences ». Que la pratique homosexuelle, prédominante ou occasionnelle, s’inscrive dans une différence à l’intérieur de ces « belles différences », c’est une chose. Que ces orientations et ces pratiques puissent aboutir à nier les identités sexuées elles-mêmes ce n’est pas sérieusement défendable.
Pierre Le Vigan
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